mercredi 27 juin 2007

Il faut sauver le journal "Les Échos" !

Le groupe anglais Pearson s'apprête à vendre le quotidien "Les Échos" à Bernard Arnault, le patron du groupe LVMH. En échange, celui-ci cèderait "La Tribune" à on ne sait qui.
Mais voilà : tous les lecteurs des Échos le savent, ce journal est passionnant parce qu'il n'a pas de liens qui l'enchaîneraient aux grands acteurs du capitalisme français.
Son arrivée dans le groupe de Bernard Arnault sonnerait le glas de son indépendance. Ce serait réellement dommage ! J'avoue prendre toujours un grand plaisir à le lire : on y trouve régulièrement des infos, des interviewes, des données économiques qui ne sont pas enfermées dans un discours langue-de-bois. Mondialisation, concurrence, efficacité des mesures gouvernementales... Il n'est pas un numéro des Échos dans lequel on ne trouve matière à réflexion (sauf à être totalement déconnecté de la vie économique et politique, sans doute.)
Alors, voilà : que Bernanrd Arnault garde donc "La Tribune", dont les journalistes reconnaissent qu'y faire son travail honnêtement, c'est pas de la tarte, et que Pearson trouve donc un autre acheteur, le plus loin possible de l'hexagone.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

La presse est un métier, M. Arnault !

Malgré plusieurs votes, unanimes, de notre rédaction contre votre OPA hostile sur notre journal, M. Arnault, et trois jours de grève, vous persévérez à vouloir acheter Les Echos à notre actuel propriétaire, le groupe britannique Pearson. Nous voudrions que vous compreniez les raisons de notre opposition.

Journalistes dans un quotidien économique, nous avons tous le plus grand respect pour votre personne, votre réussite et celle de votre entreprise - le leader mondial du luxe. Mais justement, comme journalistes économiques, nous jugeons profondément malsaine, voire dangereuse, l'éventuelle intégration des Echos dans un groupe comme LVMH. Et cela pour trois raisons.

Tout d'abord, vous l'avez dit vous-même dans ce journal (Le Monde du 11 juillet), "les médias ne sont pas stratégiques pour LVMH". Nul ne peut le contester. Dans votre rapport annuel 2006, ils "sont à peine évoqués - sous la rubrique "Autres activités"". Or nous connaissons le sort des activités "non stratégiques" dans les grands groupes internationaux. Si Pearson a peu investi dans Les Echos ces dernières années, malgré une diffusion en progression et des profits toujours substantiels, c'est parce que le groupe a réservé ses moyens à sa marque stratégique - le Financial Times. Si Pearson cherche à nous vendre aujourd'hui, c'est parce que nous ne sommes plus pour lui un actif stratégique. Nous ne voulons pas devenir un "actif non stratégique" d'un autre groupe, même d'un aussi beau groupe que le vôtre.

Pearson était néanmoins un professionnel de la presse, ce qui n'est pas votre cas. LVMH est champion du luxe (la mode, le parfum, l'agroalimentaire, etc.), voire de la distribution. Vous avez vous-même des participations financières dans de nombreuses sociétés - certaines en commun avec votre ami Albert Frère, l'un des plus grands financiers européens. Votre groupe n'a jamais révélé de talent particulier en matière de presse.

Cela fait par exemple treize ans que vous injectez, massivement, des fonds dans La Tribune, notre concurrent, un journal que nous respectons mais qui n'a réussi ni à accroître son lectorat ni à gagner de l'argent. La presse est un métier. Ce n'est pas le vôtre. Nous ne souhaitons pas que vous précipitiez Les Echos dans le cycle infernal des déficits : ce serait, pour le coup, la garantie absolue d'une perte d'indépendance.

L'indépendance, justement. En réponse à notre combat, vous avez concédé, difficilement, des mécanismes de protection de l'indépendance éditoriale de la rédaction. Vous n'avez jamais eu l'idée, semble-t-il, de les proposer à celle de votre journal, La Tribune. C'est la troisième raison de notre refus. Quelles que soient ces protections, nous sommes convaincus que l'intégration d'un journal économique dans un grand groupe industriel aux activités aussi diverses que le vôtre est inéluctablement source de conflits d'intérêts. Comment pourrions-nous enquêter et écrire sur vos multiples activités, sur celles de vos concurrents aussi ? A partir du moment où la suspicion naît sur une rubrique, elle se diffuse sur l'ensemble du journal.

La dépendance conduit, tous les professionnels de la presse le savent, à l'autocensure, à la provocation et à bien d'autres dérives encore. Un journal, plus encore quand il s'agit d'un journal économique, qui perd du crédit perd des lecteurs et finit par perdre de l'argent. Nous ne voulons pas connaître ce sort. Dans aucun grand pays capitaliste au monde, d'ailleurs, le principal quotidien économique n'est possédé par la première fortune locale, par un groupe gérant des dizaines de marques et l'un des plus importants annonceurs de la place.

Notre combat pour l'indépendance des Echos n'est pas corporatiste. Nous sommes convaincus, comme l'écrivait Philippe Aghion, professeur d'économie à Harvard, que "seule une presse véritablement indépendante des groupes d'intérêt peut améliorer l'efficacité d'une économie", qu'il y a aussi, dans le capitalisme contemporain, une exigence d'éthique.

Le philosophe François Ewald écrivait à ce propos qu'"un groupe industriel comme LVMH doit s'interdire de s'approprier le principal journal économique français parce que, privant l'ensemble des acteurs économiques d'une source de confiance, il détruirait une part de ce capital social nécessaire au bon fonctionnement de l'économie en France".

Un journal, ce n'est pas seulement une marque. C'est d'abord ses journalistes. Tel est le credo de Pearson, mais aussi de tous les professionnels de la presse. Pour les trois raisons développées, l'ensemble des journalistes des Echos vous ont, à plusieurs reprises maintenant, signifié leur refus. Au cas où vous parviendriez à vous en emparer contre l'avis de la rédaction et d'un grand nombre de ses lecteurs, comment imagineriez-vous créer l'indispensable relation de confiance nécessaire ? Comment faire vivre la "passion créative" qui nous anime, vous et nous ? A chacun son métier.
Vincent de Feligonde est président de la Société des journalistes des Echos.
LE MONDE | 26.07.07