dimanche 30 novembre 2014

La langue jubilatoire d'Andrea Camilleri conjuguée par Dominique Vittoz

Ne pouvant, pour des raisons échappant totalement à ma volonté, aller flâner cette année aux "Escales hivernales", je vous fais ici mon petit salon du livre à moi tout seul.
Mon salon du livre est tout petit : un auteur, un livre, une traductrice.
L'auteur : Andrea Camilleri, bien connu pour son commissaire foutraque et sicilien, mais que je préfère encore dans ses romans crypto-historiques, tant son humour, son sens du récit et sa langue font merveille.
Ben non, y'a pas de lien vers Amazon. Allez donc chez votre libraire !

Le livre : son dernier opus, justement, qui vient de paraître chez Fayard : La secte des anges.
Quant à la traductrice, c'est naturellement Dominique Vittoz, qui a déjà traduit nombre de textes de Camilleri (peut-être tous ? Je n'ai pas vérifié) [MàJ : non, bien sûr, Serge Quadruppani en a traduit un bon paquet, et ce n'est pas un manchot non plus !] et qui, dans ce court roman, atteint à mon avis un niveau de viruosité totalement jubilatoire. N'étant pas doué pour les langues qui ne sont pas la mienne (j'allais dire les langues étrangères, mais en fait, elles ne le sont que pour moi), je ne suis pas allé fouiller dans le texte original pour voir où étaient les simples adaptations de la prose de Camilleri et où étaient les re-créations pures et simples de D. Vittoz.  Mais on devine bien le plaisir malin avec lequel la traductrice s'est acharnée à piocher dans d'improbables dialectes hexagonaux, à charcuter tel ou tel mot, à le démembrer, à la faire sonner, à l'enrichir pour donner vie à un nouveau dialecte capable de rendre la langue de Camilleri.
Et l'exploit, c'est que ça n'est jamais brillant (au sens de m'as-tu vu), c'est juste jouissif ! Un festival d'inventions, une création permanente, une langue vraiment vivante qui doit réjouir les mânes de Jean Tardieu, de Raymond Queneau et de quelques autres.
Allez, courez vite chez votre libraire et régalez-vous ! Vous m'en direz des nouvelles.




lundi 28 juillet 2014

Ah ! les belles promos

Google, qui n'ignore rien de mes désirs les plus intimes, sait parfaitement mon affection démesurée pour la Corse.
Google n'étant pas égoïste pour 2 sous, en a bien entendu informé quelques uns de ses amis les plus intimes. Air-France, par exemple, qui, du coup, me fait une offre à ne pas laisser passer. Jugez-en plutôt :
Heu, non, cette image n'est pas cliquable
et je n'ai pas mis de lien vers Air-France !

Légèrement intrigué par cette promo (car, oui, vous avez bien lu, c'est un prix "à partir de..."), je suis allé faire un tour sur le site officiel d'Air-France. Cette exemplaire compagnie aérienne dessert, à partir de Paris (qui, c'est vrai, est très éloignée de Lille...) 151 destinations, de La Havane à Toronto, en passant par Johannesbourg, Dar Es Salam ou Port au Prince.
Sur ces 151 destinations, je n'en ai trouvé que 5 pour lesquelles Air-France propose un prix de billet Aller-Retour (très légèrement) plus cher que le Lille-Bastia très promotionnel ci-dessus.
Eh bien,  je ne m'étais jamais rendu compte que c'était si loin, Bastia ! La prochaine fois que j'irai, je me sentirai au bout du monde, c'est sûr !

Le capital au XXI° siècle

J'avoue avoir un peu hésité à entamer la lecture du bouquin de Thomas Piketty.
Et puis, la presse aidant, les louanges surprenantes des économistes américains... et la chance de le croiser sur l'étal de ma médiathèque habituelle m'ont fait sauter le pas. Sans regret, il faut le dire.
Piketty est un magicien, capable de faire comprendre des notions d'économie et de gestion financière à des gens à peu près vierges sur ces sujets.
Désolé, cette photo ne comporte pas de lien vers Amazon !
Demandez ce livre à votre libraire.

Comment se forme le capital ? Quel rapport entretient-il avec le revenu ? Comment ces deux données essentielles ont-elles évolué depuis 2 siècles ? Et comment sont-elles susceptibles d'évoluer dans l'avenir ? 
Il réussit le tour de force de pondre, sur un thème particulièrement peu rigolo, près de mille pages parfaitement lisibles, solidement argumentées, et accessibles à plusieurs niveaux : le livre est prolongé en ligne où Piketty donne accès à l'intégralité des sources utilisées (si j'ai bien compris, il est le premier auteur à utiliser des séries historiques aussi longues), à des développements techniques plutôt destinés aux économistes professionnels et même à un certain nombre de simulateurs permettant de faire varier les résultats de ses propres analyses en changeant les variables.
Bref, Piketty est non seulement convainquant sur le fond, mais aussi sur la forme, mettant à disposition du public et de ses confrères toutes les bases nécessaires pour le compléter, le commenter, le réfuter même. On se prend d'ailleurs à attendre avec une certaine impatience une "contre-histoire du capital au XXI° siècle" qui serait écrite avec autant de brio par des économistes de tendance plus libérale que Piketty... Car, même s'il nous met en garde dans sa conclusion en rappelant que tout ce qu'il vient de nous expliquer peut et doit être débattu, le bougre est tellement convainquant qu'il nous donne matière à alimenter tous les débats d'aujourd'hui autour de l'impôt (et en particulier de l'impôt sur le capital), des déficits publics, de la dette et des échanges liés à la mondialisation.

Bref, ce n'est peut-être pas le roman de l'été, mais je suis certain qu'il occupera avec profit vos longues soirées d'automne...

mercredi 16 juillet 2014

Vacances ou pas, ce qu'il vous faut, c'est de la culture !



Si vous passez par Chalon-sur-Saône cet été, n'oubliez pas de vous arrêter au Musée Nicéphore Niepce pour (au minimum), y admirer les suberbes photos de Roger Ballen, photographe américain installé en Afrique du Sud et dont le travail "Birds in Asylum" mérite grandement votre attention. Non seulement c'est inventif, interrogeant, profond, drôle parfois (parfois moins !), mais en plus les tirages grand format (de l'ordre de 1 m x 1m, je pense) sont de toute beauté.

Dans un genre tout à fait différent, le Musée présente également une très belle collection de photos stéréoscopiques. À voir également.

*

Si par malheur vous ne deviez pas passer par Chalon, peut-être aurez-vous le bonheur de passer par Lille ? Dans ce cas, ne ratez pas, à l'Hospice Comtesse la très importante exposition consacrée à Érik Desmazières, dessinateur et graveur impressionnant de dextérité.
La salle Labrouste (eau-forte et aquatinte)
Atelier d'artiste (eau-forte et aquatinte)
 Sa maîtrise des techniques de gravure et des grands formats est impressionnante. Ses vues d'ateliers, ses gravures des salles de la vieille Bibliothèque nationale, ses vues de Paris ou d'Amsterdam sont de belles réussites.

 *

Les fusains de O. Bouchery

Une deuxième salle est consacrée à Omer Bouchery, dont les gravures ne sont pas forcément passionnantes (même si elles ont un réel intérêt historique), mais dont je vous recommande les fusains, dont Bouchery maîtrisait l'utilisation même en très petit format.


NB : Les plus attentifs (et les plus âgés !) de mes lecteurs auront sûrement remarqué que le titre de ce billet est un emprunt détourné à l'inoubliable Jean Yanne ! Qu'il soit ici remercié pour sa  contribution involontaire à ce modeste blog.

mardi 10 juin 2014

Le Figaro et ses sondages de république bananière

J'adore les sondages du Figaro : les questions y sont toujours tellement bien posées qu'on on connait toujours la réponse avant de voter !

Mais aujourd'hui, notre grand quotidien du matin fait fort ! Le virage anti-Sarko dont il témoigne est tellement violent... qu'il compte plus de suffrages exprimés que de votants !
Je sais, venant d'un sondage qui concerne l'UMP, on peut s'attendre à tout, mais enfin...

Allez, amis Umpistes, ne perdez pas espoir : si Sarko ne parait pas le bienvenu rue de Vaugirard, j'ai entendu dire qu'on allait y nommer un nouveau trésorier pour remettre de l'ordre dans les fausses factures. Une bonne nouvelle, non ? Enfin, je dis un trésorier, ce serait plutôt une : Isabelle Balkany est prête à donner de sa personne (pas de son argent), me dit-on, pour la bonne cause.


lundi 9 juin 2014

Real humans, vraiment ?

Le test de Turing, inventé par la génial informaticien du même nom, aurait été réussi pour la première fois, nous apprend Le Monde de ce soir !
Je renvoie mes lectrices et lecteurs à leur moteur de recherche préféré pour en apprendre un minimum sur Alan Turing, s'ils ne le connaissent pas, et découvrir comment ce monsieur, roi du décryptage qui a largement contribué à la victoire des Alliés en 1945, en fut remercié par son pays.
Capture d'une capture d'écran réalisée par Le Monde

Notre cobaye, donc, a obtenu un score de 33%, soit 3% au-dessus du seuil fatidique. Bravo, on l'applaudit bien fort, même si Le Monde nous signale qu'il s'est fait passer pour un immigré ukrainien de 13 ans, ce qui peut expliquer des questions mal comprises, des réponses en anglais de cuisine (kitchen english) ou carrément fantaisistes. Mais bon, ça fait tellement plaisir aux informaticiens qui ont bricolé cette machine, ne leur cassez pas leur jouet !
En revanche, une questio me taraude : le compte-rendu ne parle pas des cobayes humains qui ont obtenu moins de 30% au test ; car il doit bien y en avoir. Étaient-ce des ordinateurs déguisés en humains ? J'en frémis !
(Au fait, les prochains épisodes de Real Humans, c'est jeudi soir, sur Arte !)

vendredi 16 mai 2014

La connaissance en tranches de 15 mn !

Vous rêvez de savoir (presque) tout sur la physique quantique, l'origine du langage, le SMIC ou le cancer du sein ?
Alors les Ernest sont faits pour vous !
Les Ernest

Les Ernest, c'est un cycle de conférences en ligne organisée par l'ENS (ça donne une idée du niveau et du sérieux).
Particularité, les conférenciers ont exactement 15 minutes pour développer leur sujet. C'est court, certes, mais bien adapté à l'attention moyenne qu'on peut avoir face à son écran ; ça oblige à aller assez droit au but, et bien entendu, vous ne devez pas vous attendre à comprendre l'intégralité des questions posées et induites par la physique quantique au bout de 15 mn !
Mais ça vaut vraiment le détour. Il y a déjà une soixantaine de conférences : 15 heures de réflexions, d'étonnement, de perplexité... Et si vous n'avez pas tout saisi du premier coup, vous pouvez réécouter autant de fois que vous le voulez. Parce que, bien sûr, en prime, les Ernest sont en accès libre.

Pour accéder au site, cliquez sur l'image ou bien ICI.

jeudi 10 avril 2014

Bon appétit !

Début 2009, j'avais beaucoup apprécié que le prix du petit noir de mon bistrot préféré passe de 1,50 à 1,35 euros, en application de la baisse de la TVA décidée par N. Sarkozy.

Mais voilà que ce matin, je me penche sur mon petit ticket de caisse (je ne le regarde pas toujours, c'est vrai !), et je vois : 1,70 euros.
Bon, c'est encore un coup de Hollande et de son ex-Premier Ministre (...j'ai déjà oublié son nom, c'est terrible, l'âge, quand même), me dis-je ; avec leurs augmentations de TVA, le petit noir est passé d'un taux à 5,5% à un taux à 10%.
C'est vrai. Seulement voilà, si je calcule le prix du café hors TVA en 2009 (soit 1,28 euros) à celui d'aujourd'hui (soit 1,55 euros), je constate que ça représente une augmentation de 21% (pour une inflation cumulée sur la période de 6,8%*.)
Alors, bon, le yoyo de la TVA, tout le monde n'y perd pas !

Bon, c'est pas tout ça, vous en reprenez un petit ? Allez, patron, 2 express, sans sucre !


*Calcul réalisé sur le site de France-Inflation

vendredi 7 mars 2014

Où l'on découvre que Paul Éluard n'a pas écrit que des chefs-d'œuvres

En faisant quelques recherches sur Fougeron (voir le billet précédent), je suis tombé sur une archive (courageusement) mise en ligne par le Parti Communiste ; il s'agit d'un court métrage réalisé à l'occasion du 70e anniversaire du camarade Staline. Il est titré, en toute simplicité :
L'homme que nous aimons le plus


Tout comme la carte postale qui illustre mon billet sur Fougeron, ce petit film a un côté surréaliste difficile à croire. Et pourtant, c'est un vrai film, vraiment interdit par la censure et dont le générique porte des noms aussi prestigieux que Jean Wiener, Claude Sautet, et surtout, surtout, Paul Éluard qui écrivit et lut personnellement le commentaire.
Commentaire qui, disons-le, vaut son pesant de caramels. Allez, juste pour vous mettre l'eau à la bouche, deux brefs extraits :
"Sans le cœur de Staline, sans sa raison ardente, les blés ne lèveraient pas aujourd'hui pour nous. Ceux qui les font pousser le savent."
 Et celui-ci, dans lequel Éluard n'a pas pu s'empêcher de faire des alexandrins :
"Et les mineurs sourient à leur dure besogne, 
d'un sourire clair et chaud comme un feu de charbon 
et Thorez, avec eux, sourit à l'avenir."
Étrange...

jeudi 6 mars 2014

Fougeron à la Piscine

Fougeron, la cuisinière endormie
Les Coings, ou La cuisinière endormie
Très belle rétrospective André Fougeron (1913-1998) à La Piscine à Roubaix, un musée idéal pour présenter l'œuvre de ce peintre autodidacte, membre du Parti Communiste de 1938 à sa mort, résistant et représentant quasi officiel du réalisme socialiste à la française.
Aujourd'hui, ce genre de message est naturellement un peu difficile à comprendre...
Fougeron, Dimanche matin d'une ménagère
Dimanche matin d'une ménagère

Sans doute faudra-t-il encore quelques années pour oublier l'histoire (voir le très intéressant billet de René Merle sur "La civilisation atlantique" et l'affaire du portrait de Staline) et regarder la peinture de Fougeron avec un œil innocent. Mais on peut d'ores et déjà s'y risquer. 

Quand il peint, Fougeron tape fort ! Et pas seulement quand il commet des affiches pour le PC, ni même quand il rend un vibrant hommage à André Houiller, militant communiste assassiné par un policier en civil alors qu'il collait des affiches justement illustrées par Fougeron lui-même.
Fougeron instille le drame dans le portrait même, et ses plus belles toiles sont sans doute celles qui se passent totalement de contexte, comme "La cuisinière endormie", généreusement donnée au Musée par ses héritiers.



Fougeron, Les Juges, Le pays minier
Les Juges, le pays des Mines (détail)
Au total, la rétrospective compte un nombre impressionnant de toiles, mais aussi de nombreux travaux préparatoires (dessins à la mine de plomb, gouchages, fusains, encres de Chine) tout à fait passionnants du point de vue de la genèse des œuvres.  La salle sur "Le pays des Mines" compte, outre des scènes de vie locale très réussies (le coulonneux, les coqueleux, les cyclistes...), un tableau-réquisitoire contre l'insécurité dans les mines (en 1950, 60 morts sur les 61 premiers jours de l'année ! note-t-il en marge d'un dessin), dont le portrait ci-contre est un détail hallucinant.

On l'aura compris, Fougeron n'a jamais peint un modèle qui ait gagné plus que le SMIC ! Son inspiration, ce n'est pas du côté de Vélasquez qu'il faut la chercher, mais plutôt de Goya ou de Courbet (à qui il rend un hommage appuyé.)
Mais allez donc voir par vous-mêmes : La Piscine à Roubaix.