Le Monde daté du 9 mars publie deux tribunes sur le projet de loi "Travail" qui a fait descendre dans la rue hier quelques centaines de milliers de personnes, a réuni pus d'un million de signatures autour d'une pétition et déjà fait couler beaucoup d'encre... Je vais tenter de ne pas en ajouter trop !
L'une de ces tribunes est signée Bernard Spitz, chef d'entreprise et président du pôle international et Europe du Medef.
Sous le titre "Une réforme destinée à donner enfin un avenir à la jeunesse", B. Spitz nous fait une promesse qui mérite attention : "Si le projet n'est pas adopté, nous dit-il, des centaines de milliers d'emplois potentiels pour nos jeunes seront perdus au profit des mêmes, les champions de l'immobilisme."
Eh bien, voilà qui est dit. Pas de réforme, pas d'emplois !
Et qui, aujourd'hui, voudrait cracher sur des centaines de milliers d'emplois nouveaux ?
Eh, attention, Monsieur Spitz n'a pas parlé d'emplois nouveaux, il a parlé d'emplois potentiels ! Ne lui faites pas dire ce qu'il n'a pas dit.
Mais qu'a-t-il dit, alors ?
Il faut entrer un peu plus avant dans son texte pour le comprendre. Monsieur Spitz, après avoir loué la capacité de mobilisation de la jeunesse et précisé qu'il aurait préféré qu'elle se mobilisât pour de plus justes causes, explique ceci :
Dans la vie, il y a deux catégories de gens : d'un côté, les insiders, ceux qui sont au travail et qui, "champions de l'immobilisme", empêchent toute évolution législative du droit du travail pour préserver leur pré carré, bref "ceux qui sont protégés" ; de l'autre, les jeunes sans emploi, "les outsiders, ceux qui veulent entrer sur le marché de l'emploi."
Et c'est à ceux-ci que Monsieur Spitz s'adresse en leur expliquant que la nouvelle loi travail proposée par le gouvernement et Madame El Khomri est faite pour eux.
Car cette nouvelle loi travail offrirait "cette prévisibilité [....] qui seule donne aux employeurs l'envie de prendre de risque d'embaucher."
Magique ! Sans entrer dans le détail de ce projet de loi, rappelons pour faire court qu'il contient en particulier des mesures facilitant le recours aux licenciements, allégeant les procédures, et plafonnant les indemnités de rupture qu'un salarié serait susceptible de demander aux Prud'hommes.
Donc, si nous comprenons bien, Monsieur Spitz nous explique que, facilitant les licenciements, la nouvelle loi permettra d'embaucher et donc de réduire le chômage, et par voie de conséquence directe, de réduire les licenciements.
Je résume si vous êtes perdus : En facilitant les licenciements, la loi permettra d'éviter les licenciements.
Quoi, il y a quelque chose qui vous choque dans ce raisonnement ? Vous avez raison, je suis content de voir que vous avez été attentifs ! Ce n'est absolument pas ce que dit Monsieur Spitz (et, derrière lui, le Medef, qu'on a connu moins élogieux envers le gouvernement actuel !)
Relisez donc le passage sur les insiders et les outsiders : ce que nous dit Monsieur Spitz (et ce que prépare sans doute le projet de loi), c'est que pour faire rentrer les outsiders sur le marché de l'emploi... il convient de pouvoir en faire sortir les insiders.
Quand il parle de centaines de milliers d'emplois, Monsieur Spitz ne parle donc pas de centaines de milliers d'emplois nouveaux, mais juste d'emplois de remplacement : plus de jeunes au travail, souples, formés aux nouvelles technologies, pas très chers, et plus de vieux ou moyen-vieux au chômage : les outsiders vont enfin pouvoir devenir insiders, et les insiders actuels vont aller au placard.
Voilà exactement ce que disent Monsieur Spitz et le Medef, et rien d'autre ! Pas besoin de lire entre les lignes pour le comprendre : c'est à peu près écrit en toutes lettres !
Deux mots encore pour conclure :
1) contrairement à ce que prétend Monsieur Spitz, ce n'est pas la prévisibilité des conditions de séparation qui permet à un chef d'entreprise d'embaucher, c'est le carnet de commandes. Cela ne signifie pas qu'il soit inutile de modifier le code du travail. Mais cela me semble, bizarrement, un tout autre sujet...
2) Cette tribune de Bernard Spitz pose une autre question, essentielle à mes yeux : Monsieur Spitz se considère-t-il comme un insider (et donc sur un siège éjectable, de façon à laisser un outsider trouver un emploi) ? Je crains que non : Monsieur Spitz, comme, hélas, une très large majorité des "forces vives" du Medef, n'est ni insider, ni outsider (bien entendu !) : il est, tout simplement. Pas ex nihilo, comme le Bon Dieu, mais de facto, parce que l'économie le veut. Ce qui n'est pas un tout autre sujet.
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